J’ai la malchance d’être la mère d’une handicapée physique.
Pas d’une enfant, non. Ça, ce sont différents acteurs de l’enseignement qui me l’ont appris.
J’en ai rencontré de ces gens, puisque je suis une mère et qu’en tant que mère, il me faut assurer la prise en charge de l’éducation de celle qui est, et qui sera toujours mon enfant.
L’éducation chez nous, pays sur développé, passe par un certain nombre d’années obligatoires dans les écoles. C’est ainsi décidé.
Les Romains, ils sont fous ces Romains, avaient coutume de jeter par-dessus les murs de la ville, les enfants mal formés.
Le problème était réglé. Chez nous, on règle le problème plus proprement, plus poliment.
Par exemple, dans l’enseignement, cela se passe ainsi :
- La mère : Allô, bonjour, je souhaiterais inscrire ma fille, atteinte d’une myopathie, dans votre établissement.
(Elle a auparavant, bien sûr, durant plusieurs mois, recherché les écoles qui possédaient un ascenseur ou étaient de plain-pied). - Le directeur, la directrice : Pourquoi chez nous ?
- La mère : J’ai appris que le bâtiment est accessible, c’est ce qui a dirigé mon choix.
- Le directeur, la directrice : (Silence…) Pourquoi ne l’inscrivez-vous pas dans un centre spécialisé ?
- La mère : Et bien parce qu’elle a toujours les compétences pour suivre l’enseignement ordinaire. D’ailleurs son Q.I. est particulièrement…
- Le directeur, la directrice : (Silence…) C’est que, vous savez. Nous, on n’a pas ce qu’il faut pour les encadrer !
- La mère : Oh, elle n’a pas besoin d’un encadrement particulier, elle a beaucoup d’autonomie : elle se déplace en partie seule ou bien avec une voiturette électronique…
- Le directeur, la directrice : Ecoutez, je pense que les centres adaptés quand même…
- La mère : Elle peut manger seule, se laver seule, s’habiller seule, même pour aller à la toilette ! …
- Le directeur, la directrice : Je ne suis pas sûre que…
Après avoir pratiquement épuisé sa maigre liste – trois écoles pour Bruxelles – la mère réalise que si elle ne trouve pas une stratégie, elle va y engloutir son moral, et ça, elle sait qu’elle doit le préserver.
- La mère : Allô, bonjour est-ce que votre établissement possède un ascenseur ?
- Autre directeur, directrice : oui, pourquoi ?
- La mère : Je suis la maman d’une fille atteinte de….et je souhaiterais faire une inscription.
- Directeur, directrice : Ah, mais vous savez, l’ascenseur, il tombe toujours en panne. La dernière fois, ils ont mis un million (de francs) pour le réparer et c’est toujours pareil ! Je suis désolé, peut-être l’enseignement spécial ?
Alors, au bord d’un gouffre, la mère se rappelle du mot magique, celui qu’elle a vu, entendu, maintes fois dans les médias.
Comment n’y avait-elle pas pensé plus tôt ?
- La mère : Bonjour, je suis la maman d’une fille… je vous appelle pour un projet d’intégration.
- Autre directeur, directrice : (Long silence…) Ah oui, …
- La mère : Pourrions-nous nous rencontrer ?
- Autre directeur, directrice : C’est que l’ascenseur, il est interdit aux élèves et puis, il faut que l’équipe en ait envie.
Ça, elle n’y aurait jamais pensé la mère, qu’il fallait qu’une école ait envie de son enfant pour lui donner l’éducation obligatoire.
Ça, ça l’estomaque, attention, elle a failli tomber dans le gouffre !
- La mère : Allô
- Autre directeur, directrice : Dites, Mme Palin, l’équipe n’a pas envie, alors je crois que pour le bien de l’enfant… Vous avez pensé à l’enseignement spécial ?
C’est ça,… C’est parce que son enfant n’est pas un enfant qu’il n’a pas les droits et que les autres sont exemptés des devoirs qui entourent l’éducation des petits du monde sur-développé. Il ne me reste plus qu’à aller porter des briques avec les autres parents, ceux qui sont en train de la construire eux-mêmes, l’école de leurs enfants.
Un autre mot magique me revient à l’esprit : discrimination.
Marie-Eve Pallin,
par courriel (le soir, samedi et dimanche 29 mai 2005)