dans Lecture

On a lu pour vous …

Tu ne sais plus qui je suis – Edith Fournier
Ed. Les éditions de l’Homme – 2021

Geneviève Aubouy – Chargée d’études à l’ASBL Aidants Proches Wallonie Septembre 2021

Nous avons le plaisir de vous faire part de notre lecture du livre d’Edith Fournier, Tu ne sais plus qui je suis (7 ans d’accompagnement d’un proche en CHSLD[1]). Cet opus fait suite à J’ai commencé mon éternité. Il nous parlait du couple d’Edith et de Michel, atteint d’une maladie neurodégénérative. Il relatait 7 années de la vie à domicile de ce grand malade et de son aidante proche. Edith y exprimait, avec pudeur et poésie, le quotidien du couple, l’usure et les effarements d’une aidante face à la progression de la maladie, l’appel aux amis, à des services professionnels. On y trouvait un constat répandu : le vécu de tout aidant, oscillant entre stress et épuisement, entre volonté de tout faire pour son proche, jusqu’à s’en oublier soi. Renoncements, survie, toute cette dualité était le pain quotidien d’Edith, et le livre se clôturait sur l’appel du CHSLD : une place était disponible pour Michel. La grande transhumance pouvait s’accomplir.

[1] Le Centre d’Hébergement de Soins de Longue Durée, plus ou moins l’équivalent québécois de nos Maisons de Repos et de Soins.

C’est sur cette transition que s’ouvre Tu ne sais plus qui je suis. A travers des chapitres courts, brefs, dépeints comme des scènes de vie, Edith relate cette transition vers le centre… Transition qui, comme le reste du livre, est dans une perpétuelle ambivalence, chez cette aidante : déchirement de savoir désormais la maison « esseulée », et volonté farouche d’y retrouver un peu de vie et de sérénité, maintenant que d’autres prendront Michel en charge jour et nuit. Dans cette transition, tout comme en filigrane, dans le reste du livre, on y retrouvera un fil rouge bien présent : les liens, qui deviendront parfois, ou pas, selon les circonstances et les professionnels, un réel partenariat.

Il y sera question, au fil des chapitres qui parleront à tout lecteur, du nécessaire « apprivoisement » avec ce nouveau lieu de vie, ces règles parfois contraignantes voire choquantes. Le fait de passer d’aidant à simple « visiteur », de vivre, à chaque fois avec choc, la mort d’une des compagnons de chambre de Michel (ils y sont à 4). Il y sera question des compagnons de route d’Edith et de Michel : les proches, familles, amis, Danièle (la garde à domicile) maintiendront ce lien de vie avec Michel.

Edith évoque aussi, dans la 2° partie de son livre (Fulgurances), ce nouvel amour qui se dessine avec un « autre Michel ». Ancien compagnon d’études puis de faculté (tous 2 sont psychologues), Michel est lui-même aidant de Nicole, son épouse, elle aussi victime d’Alzheimer, elle aussi placée. Si cette embellie inespérée comble Edith, elle la laisse aussi ballotée. Profondément attachée à son compagnon, avec qui elle a traversé 40 ans de vie commune, elle est aussi consciente que sa vie, nulle d’autre qu’elle ne peut la vivre, y faire des choix. Alors, devant sa bonne mine retrouvée, il faut peu à peu lever le voile sur ce nouvel amour, ne pas fuir devant un sentiment de culpabilité latente. C’est une amie, au centre, qui lui apportera la clé : « l’un n’empêche pas l’autre ». Découvrir le lieu, dans les cantons de l’Est (!) où réside Michel, partager à nouveau la familiarité du quotidien avec cet autre, se laisser toucher aux larmes par sa sollicitude, sont autant de forces qui permettent à Edith de tenir. Michel est celui qui « réconcilie » Edith : relecteur implacable et bienveillant de ses livres, qui lui offre de travailler sous les pommiers en fleurs du mois de mai, qui fait donc la synthèse entre le nécessaire « devoir » et le « plaisir » de profiter des joies simples de la vie.  « On dirait que tu ne sais plus ce que c’est, qu’on prenne soin de toi » (…) « J’ai beaucoup aimée et j’ai été aimée. Je n’ai manqué de rien… Mais ces dernières années, vouée aux sons de l’autre, je n’ai plus pensé à ma part de besoin, au grand trou que creusait en moi la dissolution de mon compagnon. Je n’ai plus rien demandé. J’ai donné. Sans compter, sans retour, j’ai donné. Jusqu’à oublier que « soin » et « besoin » sont voisins. Jusqu’à ne plus savoir accueillir. Ce dimanche matin, je recevais sans avoir demandé ».

Cet amour profond, empli de gratitude, permet donc à Edith de tenir face à son mari, qui se coupe peu à peu de toute communication, tandis que la maladie poursuit ses ravages souterrains. Plus largement, ce sont les amis restés fidèles (dont les Coppée, un couple… belge), les travaux partagés avec Michel (la relecture de ses écrits, des conférences menées à 2, au Québec et en Europe…) qui permettront à Edith de rester active, en mouvement, de pouvoir faire partager et recueillir son vécu d’aidante.

Cette communauté des aidants, Edith l’expérimente de diverses façons : depuis le cercle, intime, des compagnes qui sont présentes aux côtés des autres malades, dans la chambre à 4 de Michel, jusqu’à un comité des usagers, au sein du CHSLD, en passant par les échanges qu’elle peut avoir, inlassablement, avec les auditeurs de ses conférences. Ce faisant, elle se questionne elle-même : la transmission de son vécu d’aidante, se résume-t-elle à sa vie avec son mari Michel ? Peut-elle lever le voile sur sa vie, qui a repris avec son nouveau compagnon ? Quelle sera sa « légitimité » à parler de son proche, placé, alors que la vie a placé sur sa route un nouvel amour, et qu’elle a décidé de vivre cette aventure ?

Et si cet amour est le pilier d’Edith, il n’empêche pas pour autant, les difficultés qui continuent de survenir au quotidien : les décisions médicales concernant la qualité de vie de Michel (vaccination contre la grippe, antibiotiques ou pas ?) sont l’occasion d’échanges plus ou moins aboutis avec les soignants, selon qu’ils sont à l’écoute des questions d’Edith, ou qu’ils adaptent « machinalement » les traitements. C’est un autre de ces fils rouges du livre : le partenariat avec les aidants, qui amènent Edith et son nouveau compagnon, à réfléchi, invités par des membres de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, à la place du malade, et de son entourage, dans la prise en soins. Edith l’explique en ces termes : si les professionnels « savent » la maladie, l’entourage, lui « ressent » avec le malade.

Elle le vit aussi dans les relations avec les soignants : elle apprend incidemment que le bilan annuel de l’équipe, sur l’état de santé et les besoins de Michel, va avoir lieu, et doit se faire entendre, pour participer à la réunion, en relevant, elle aussi, ses questions et les manques observés. Elle encourage aussi les soignants, tous les soignants, à « dire » les choses. Face à des incidents (qui peuvent arriver concernant les proches en hébergement), expliquer les choses plutôt que de vouloir les taire, permet bien souvent de rassurer l’entourage. En se taisant, le risque est grand d’abîmer le lien de confiance, et donc la communication sereine, entre professionnels et entourages des malades.

Le ressenti d’Edith, c’est aussi, bien sûr, tout ce qui est vécu auprès de Michel. Mais le constat est sans appel : les réflexions d’Edith sont aussi fragiles que la présence de plus en plus ténue, de Michel. Lucide, en conscience, elle interroge cette fidélité qui la pousse, toujours, à revenir vers « son » malade. Mais quel est le lien qui les unit désormais ? Sourire mécanique, affairement à ranger, peigner, trier les vêtements… Qui, peu à peu, doivent céder la place à un « être-là », à la simple présence auprès de Michel, en faisant le pari que, même s’il ne reconnait plus son épouse, il reste sensible à cette présence aimante.

La fin se dessine, lors des derniers chapitres, il y a beaucoup d’émotion à la lecture du dernier soupir de Michel, entouré de l’amour de sa famille, de la cérémonie d’enterrement, qui se veut la célébration de tout ce que fut Michel. Les amis, la familles, venue d’outre-mer, les professionnels, tous partagent leur vision de Michel. Pour autant les nœuds du deuil ne sont pas aisés à dénouer. Il faut faire face à la difficulté de pleurer le disparu, la colère qui resurgit, tenter de se retrouver, soi, après toutes ces années à lutter pour l’autre. Au-delà des « mercis » finaux qui clôturent le livre, Edith nous livre un ultime message d’espoir : faire le pari de demain, en y laissant de la place pour qu’advienne le meilleur.

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