Le coronavirus… L’occasion de « marcher dans les mocassins » des aidants ?
Geneviève Aubouy – Chargée d’études à l’ASBL Aidants Proches Wallonie – mars 2020
La crise que nous vivons connaît des aspects terrifiants, et des moments (malgré tout) réconfortants, entre impuissance et solidarité. A ce titre, elle représente, qu’on le veuille ou non, une manière d’expérimenter le « vécu » (avec la charge et le don de soi que cela suppose) le fait d’être #TousAidantsProches. C’est aussi l’occasion de se questionner : pour les aidants au long cours, cette situation est (aussi) très paradoxale…
Je suis face à ma fenêtre. Le ciel est bleu, le froid, piquant. J’ai la chance -inestimable en cette période – d’avoir vue sur jardin, de voir le printemps à l’œuvre. Confinée ? Oui, bien sûr, comme toute personne sensée. Oppressée ? Oui, par moment, lorsque se percutent télétravail, enfants en bas âge, devoirs, courses (le ventre un peu noué), intendance… Je ne suis qu’un être humain, qui, comme tous les autres, veut à la fois protéger sa famille, soutenir son conjoint (soignant), renforcer le lien avec la famille, les collègues, les amis…
Alors, face à ce maelström qui chamboule nos vies, que penser du coronavirus ? Nier qu’il est effrayant, qu’il détruit des vies, qu’il éprouve nombre de professionnels « au front », en 1° ligne face à lui, ce serait insultant. Minimiser l’épreuve qu’il fait vivre à nos systèmes de santé, à l’organisation de nos sociétés, à nos habitudes de vie, au système économique actuel… Ce serait stupide.
Ceci étant… Au-delà des inconscients qui bravent les règles de protection, au-delà des égoïsmes, nous pouvons aussi considérer cette foutue pandémie comme l’occasion de voir, sur une longue période, un magnifique élan de solidarité, de générosité. C’est ainsi qu’à l’ASBL Aidants Proches, bien que confinées, nous avons choisi de rester disponibles, à l’écoute des aidants et des professionnels :
- Via notre page Facebook, nous informons, nous communiquons aussi clairement et rapidement que possible, sur la situation ;
- Sur notre site Internet ( https://wallonie.aidants-proches.be/news_category/plateformes-locales-daide/), territoires par territoires, nous avons recensé (et nous continuons d’alimenter grâce à vos apports) les plates formes d’entraide pour les personnes confinées et leurs aidants. Nous tenons à mettre en valeur ces initiatives gratuites citoyennes, solidaires et locales. Car elles témoignent du formidable lien humain, qui sait se réactiver face à la guerre sanitaire que nous traversons ;
- Nous restons à vos côtés, à votre écoute : notre permanence téléphonique reste joignable les lundis, mercredis et jeudis de 10h à 16h, et le canal des courriels (infoaidants@aidants.be) est lui aussi opérationnel, tout comme le courrier, relevé régulièrement.
Ceci, c’est pour les faits. Mais quel rapport avec « les mocassins » des aidants proches ? C’est qui, ça d’abord ? Eh bien, c’est… vous. Bienvenue dans leur monde. Parce que nous l’affirmons : cette crise est un moyen d’expérimenter ce que c’est qu’être #TousAidantsProches. A domicile, nous vivons, dans des espaces plus ou moins exigus, le quotidien des aidants : une multitude de tâches à accomplir, une organisation serrée, des imprévus et des aléas à contourner… Si notre proche est lui-même confiné en hébergement, loin de nous, sans moyen de le rejoindre, nous nous inquiétons à distance… Nous veillons, aussi : nous préparons victuailles, linge et courses, déposés sur le pas des portes des centres d’hébergement ou des maisons de repos. En d’autres termes, tous, à un degré ou l’autre, nous faisons face, nous pallions, nous nous tourmentons. Nous (re)trouvons un certain « sens » à aider : en restant chez soi, en épaulant par des courses, des dessins… Nous devons faire preuve d’ingéniosité, il nous faut anticiper. Nous sommes à l’affût de l’accroc, du grain de sable. Nous soupirons à la fin de chaque journée, entre soulagement et fatigue.
Mais nous tenons à souligner le courage des aidants « au long cours », qui vivent ce que nous traversons, jour après jour, avec ou sans Covid-19. Surmenés ? Stressés ? Ils le sont. Conscients de leur don de soi ? Sans doute, on peut l’espérer. Mais le paradoxe est là : ils vivent une « double peine » en ces jours sombres. Confinés chez eux, ils le sont trop souvent. Or nous (re)découvrons parce que nous en sommes temporairement privés, que des sorties, des loisirs, une vie professionnelle… sont autant de soupapes de sécurité. Demandez aux parents qui jonglent entre télétravail et garde des jeunes : pas un qui n’évoque le boulot avec une certaine nostalgie ! Les aidants, eux, estiment trop souvent devoir renoncer à ces plaisirs simples. Par manque de temps, par manque d’argent pour se faire remplacer par des professionnels auprès de leur proche, par manque de ressort…
Imaginez-vous vivre la vie que vous expérimentez aujourd’hui, sans réelles perspectives, sans « sortie de crise », sur un long terme incertain, périlleux ? Or, c’est ce que vivent trop d’aidants. Les gestes d’entraide que vous posez autour de vous, qui réconfortent, qui stimulent, savez-vous que des aidants les font tous les jours ? Et que par ailleurs, ces marques de sollicitude sont pour eux, la manifestation du « lait de la tendresse humaine », auxquelles ils s’abreuvent pour « tenir » ? Vous avez ouvert les yeux sur une certaine réalité, révélée par le coronavirus. Eh bien, regardez autour de vous : crise ou pas crise, les aidants, eux, vivent cela jour après jour, entre don de soi et épuisement.
En guise de non-conclusion…
Cette bombe sanitaire nous permet de voir le « meilleur » d’entre nous : un effort collectif soutenu, des signes de reconnaissance, un engagement consenti avec courage et détermination. La préservation du « bien public » (qu’il s’agisse des services de santé, d’aide, sociaux, des médias…), les initiatives solidaires de proximité, les décisions politiques concertées et expliquées aux citoyens, en sont des illustrations. Au moment d’écrire ces lignes, nous ne pouvons qu’espérer que cette guerre prendra fin rapidement. Que nous pourrons bientôt jouir du printemps, que nous sortirons de cet « entre-deux » inquiétant parce qu’inédit.
Malgré tout… Parce que « ne pas planifier, c’est déjà gémir » (L. de Vinci), des questions se posent déjà pour l’avenir : voulons-nous retourner à un rythme effréné, retomber dans nos égoïsmes, nos habitudes (délétères) de consommation ? Dans le prolongement de ce que nous traversons aujourd’hui ensemble, l’heure n’est-elle pas venue de se poser de bonnes questions ? Que voulons-nous vraiment, comme citoyens, comme êtres humains ? Nos jeunes ont ouvert la voie, en nous interpellant avec constance sur l’avenir d’une Terre habitable pour demain. Le monde est bel et bien un village, dans lequel un virus asiatique peut provoquer des dégâts rapides et durables.
Qui sait si nous ne serons pas amenés à revivre de tels bouleversements ? Alors, comment nous armons-nous, collectivement, face à ces défis à la fois intimes et planétaires ? Concrètement, que privilégions-nous comme « dépenses sociales » ? Est-ce que défendre la santé vaut la peine ? Est-ce que maintenir un lien social auprès des malades, des fragiles, est nécessaire, ou bien superflu ? Est-ce que reconnaître, enfin, l’apport des « aidants proches », est urgent ? Cet apport que nous avons tous, peu ou prou, expérimenté dans notre quotidien, entre inquiétude et sollicitude…
Et vous, chèr(e) aidant(e) proche, que vous le soyez devenu(e) par la force des choses, ou que vous le viviez «24/7 », qu’en pensez-vous ?