dans Lecture

On a lu pour vous …

Le Sel de la vie – François Héritier – Ed. Odile Jacob, 2017

Geneviève Aubouy – Chargée d’études à l’ASBL Aidants Proches Wallonie 19 Avril 2020

Une fois n’est pas coutume…. Nous vous proposons ici une respiration, un livre-gourmandise, une plongée en nostalgie, qui donne envie de se questionner soi-même…

Précisons d’emblée : qu’est-ce que le « sel de la vie » ? Eh bien, de la même manière que le sel donne du goût aux préparations culinaires, le sel est de la vie est « ce qui donne de l’intérêt à notre vie », du piquant[1].

Il s’agit donc d’un livre rédigé par une célèbre anthropologue française, Françoise Héritier, décédée il y a peu. Elle en parle comme d’une « fantaisie », une énumération suite à la réception d’une carte postale d’un ami médecin. Dans cette carte, il évoque ses vacances « volées », alors même que ce praticien est sans cesse au bord de l’épuisement physique et moral, engagé corps et âme auprès de ses patients. Elle lui répond alors : « vous [le médecin en question – NDLR] escamotez chaque jour ce qui fait le sel de la vie. Et pour quel bénéfice, sinon la culpabilité de ne pas en faire assez ? » … En réponse, elle commence à lister, au gré de sa fantaisie, de ses souvenirs, les petits moments et les grands événements, heureux comme malheureux, qui ont jalonné sa vie. Se prenant au jeu, elle poursuit tout au long de ce livre son énumération, qu’elle décrit comme « une sorte de poème en prose en hommage à la vie ».

Et parce que son sous-titre est « Lettre à un ami », voilà pourquoi il est pour vous, et justement en cette période.

Parce que d’une part, nous soulignons régulièrement à quel point les aidants (professionnels et proches) sont chaque jour au service d’un autre, des autres, au point de s’oublier soi-même. Alors, chaque journée devient un désert aride, semé d’une succession de tâches mécaniques répétitives, sans plus de sens. Et parce que d’autre part, nous sommes plongés dans un contexte anxiogène au possible, qui nous touche parfois d’excessivement près (quand c’est un proche, un ami, une connaissance dont on apprend l’hospitalisation, l’intubation… la mort). Oscillant entre inquiétude, « surrégime », incertitude et attitude bravache, ce méli-mélo des sentiments contribue à une fatigue sourde, à une courbure de l’âme et du corps, face à ces lendemains dont, honnêtement, on ne sait pas vraiment de quoi ils seront faits.

Et pourtant, pourtant… Le printemps est clément, et il suffit de lever les yeux pour apercevoir un ciel « bleu pur ». La fraternité résiste, fait front, fait bloc : des pompiers qui stationnent, toutes sirènes hurlantes, devant un home pour soutenir les aînés, une parodie d’humoriste sur les « joies » d’être parents et confinés, que sais-je encore ? Tout cela participe du « sel de la vie ». Même aujourd’hui. Surtout aujourd’hui.

Alors, voici quelques perles que nous livre Françoise Héritier au gré de ses chapitres : les fous rires, envoyer bouler un temps la politesse, faire un bouquet de fleurs de talus, ôter un caillou de son soulier, jurer comme un charretier si des objets s’obstinent à se mettre en travers (et en breton de préférence), retrouver une vieille boîte à trésor, frissonner légèrement à la tombée du soir, avoir un objet fétiche, écouter les cris joyeux d’enfants en récréation, rester plein de naïveté parfois et n’en être pas mécontent, aimer le marché, redonner vie aux morts en parlant d’eux, considérer que le mot « gentillesse » renvoie à une grande vertu…

Ou encore, ce savoureux « Avoir demandé son chemin un soir pluvieux d’hiver à la sortie désertée du métro Censier-Daubenton à un groupe de 3 punks, coiffure à l’iroquoise et Doc Martens, chahutant à l’abri d’une porte, et avoir été accompagnée par 3 jeunes gens prévenants jusqu’à l’entrée du square Vermenouze : « Mais si, vous n’auriez pas trouvé toute seule, et puis, on ne sait jamais… »

On est surpris de voir comment ce « grand terreau d’affects » ne demande qu’à réveiller des souvenirs, malgré l’ankylose du quotidien. La règle du jeu et simple. Elle repose sur la question de F. Héritier : « et vous, qu’est-ce qui vous manquerait le plus si tout cela devait disparaître à jamais de votre vie ?»

[au besoin, tu peux ôter ce paragraphe si l’ensemble est trop long] J’ai commencé l’exercice en ce qui me concerne. Premières impressions : le goût d’une framboise veloutée du jardin, le piaillement « surprise » des premières hirondelles, l’odeur d’un feu, les bons mots involontaires des enfants, le passage du pont vers l’île d’Oléron, une amitié jamais prise en défaut, la clarté surnaturelle de la neige tombée en silence durant la nuit, un chat qui acquiesce, la certitude d’être « dans le bon », l’odeur de la maison familière, les chansons dans la tête qui vous accompagnent toute la journée….

Le dernier mot revient à Françoise Héritier : « J’ai voulu traquer l’imperceptible force qui nous meut et qui nous définit (…) Pour que nous ne soyons pas simplement obnubilés par des buts à atteindre – des carrières à faire, des entreprises à commencer, des rentabilités à assurer -, en perdant de vue le « je » qui est en lice. Pour que nous sachions que, sous-tendant l’exploit sans cesse renouvelé de vivre, se trouve ce moteur profond qu’est la curiosité, le regard bienveillant en empathie ou critique et constructif que « je » porte sur le monde autour de lui ».

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