Partenaires à l’honneur
Le secteur du « handicap » à l’épreuve du (1°) confinement
Actes du colloque : « le (dé)confinement… Made in aidants-proches… »
Geneviève Aubouy (Chargée d’études) à l’ASBL Aidants-Proches | Avril 2021
Source :
Le colloque de l’ASBL Aidants proches a donc vu la tenue d’ateliers, rassemblant aidants, professionnels et citoyens, autour de 3 domaines. Nous vous présentons, ici et dans les mois à venir, l’analyse de ces ateliers. Place… Au domaine du « handicap ».
Quel a été le sentiment général, partagé par les aidants-proches (AP) de personnes handicapées (PH) ? Eh bien, ils ont vécu le déconfinement « aussi mal » que le confinement, en ressentant un sentiment d’« arbitraire », l’initiative du déconfinement étant laissée, sur la forme, aux directions des services d’hébergements. Alors que certaines institutions ont « déconfiné » largement, en partant d’un principe de confiance vis-à-vis des familles et des équipes, d’autres structures ont fait le choix d’un « lock down » strict, se poursuivant en partie lors du déconfinement. Sans remettre en question la nécessité de la sécurité sanitaire, les AP regrettent cependant un manque de concertation avec les familles[1], malgré les recommandations des autorités publiques : ce constat est transversal au vécu… de tous les AP. En ce qui concerne les professionnels présents, ces derniers ont fait état de propositions « pour l’avenir », nées des leçons apprises suite aux manquements de la 1° vague.
[1] Dans cet atelier, les « familles » ou les « AP » sont à comprendre comme l’entourage informel qui épaule des personnes en situation de handicap.
Les besoins, vécus, difficultés, ressources…
Au niveau macro : entre reconnaissance nécessaire et urgence sanitaire
Les professionnels et les politiques partagent la nécessité impérative de favoriser la reconnaissance sociétale des AP[1]. Dans le « handicap », il est admis que les AP sont des « experts du vécu », les meilleures boussoles des soutiens à mettre en place. Cette reconnaissance des AP était déjà un support solide pour les professionnels, dans leurs relations avec les familles. Et cette reconnaissance préexistait bien avant la survenue de la pandémie.
En revanche, la COVID-19 s’est tout d’abord traduite par un temps de « sidération », de mise à l’arrêt de toute la société. Cet arrêt forcé n’a pas épargné le secteur du handicap. Autrement dit, durant le 1° confinement, un choix abrupt, dans l’urgence, a pesé sur les institutions et les familles. Pour les centres, la sécurité collective s’opposait au respect de l’autonomie (même relative) des personnes en situation de handicap (PH). Pour les familles, cet écartèlement a opposé la sphère de l’intellect, du raisonnement factuel (bien sûr que la sécurité prime sur tout, face à la menace !) et la sphère affective (comment les choix que je pose, en période de crise aigüe, vont impacter la relation que j’ai avec mon proche ?). Notons que cet impact vaut aussi bien pour les AP dont le proche est calfeutré en institution que pour les cohabitations difficiles lorsque l’AP a fait le choix de reprendre la PH à ses côtés.
En effet, l’équation rapportée par les participants était la suivante : choisissez-vous de reprendre votre proche auprès de vous à domicile (sans connaître la durée du confinement et avec toutes les difficultés que cela suppose) ? Ou faites-vous le choix de confier votre proche à l’institution (en sachant qu’il y aura un manque de contact pour une durée inconnue, et sans certitude que la contamination ne touchera pas l’institution) ?
REFLEXION DE L’ASBL AP : Dès l’amorce du (dé)confinement, un questionnement a surgi chez les familles aidant une personne handicapée (PH) : alors que l’augmentation de la bulle sociale s’appliquait à des tiers (ex. : accueillir ses voisins, cette ouverture de bulle ne permettait pas de reprendre son proche en situation de handicap et résidant en institution, pour un week-end, à domicile. En effet, les services d’hébergement sont restés « confinés » plus longtemps que les autres secteurs. La question – source de grands remous – ne portait plus sur une confrontation des valeurs, dictant des attitudes opposées. Elle renvoyait au niveau sociétal : est-on réellement dans une stricte équivalence de droits pour tous ?
Au niveau méso : entre reconnaissance et partenariat
Quelles sont les ressources mis en évidence par les participants pour résister aux effets délétères de la COVID-19 ? L’une d’entre elles a été le partenariat établi entre familles et équipes actives auprès des proches fragilisés. Ce partenariat est quasi « culturel », propre au secteur. Anciennement établi, il donne une large place aux AP. Car, par la force des choses, ceux-ci sont amenés à se positionner face aux choix qui orientent la vie de leurs proches vulnérables, dont les capacités décisionnelles[1] sont limitées. C’est pourquoi les participants ont mis en évidence ces stratégies de partenariat avec les aidants, y compris dans la prise en compte de leurs besoins propres. Mais la pandémie a rebattu les cartes de ce partenariat.
C’est ainsi que les participants des ateliers sont revenus sur la « précipitation » de la prise de décision : reprendre ou ne pas reprendre son proche ? Et pour combien de temps ? Comment assumer l’un ou l’autre ? Autant de dilemmes qui ont été source de déchirements chez les familles lors du 1° confinement.
En mettant en parallèle le secteur du « grand âge » et celui du « handicap », les AP font un constat central : quel que soit le secteur, toute organisation qui s’était emparée du sujet de l’aidance avant la pandémie… a pu aider les AP à absorber l’onde de choc que fut le confinement strict. Si ce n’était pas le cas, les organisations ont alors été absentes/démunies, dans le soutien collatéral à apporter aux AP, en tant que pilier informel du système d’aide autour de la personne aidée. Le témoignage d’une aidante le résume : « la COVID a été l’accélérateur, le révélateur des problèmes sous-jacents dans les institutions. Les hébergements qui fonctionnaient bien, s’en sont bien tirés, y compris vis-à-vis des aidants. Ce n’est pas le cas pour les institutions qui avaient déjà des difficultés avec les familles. Le confinement n’a fait que les exacerber. »
REFLEXION DE L’ASBL : Cette invisibilité sociale des AP fait écho aux exposés de la matinée du colloque. Ici, les témoignages montrent que des associations proactives dans le soutien aux AP constituent un bon paratonnerre lorsque des circonstances exceptionnelles (en durée et en intensité) surviennent. Du côté des AP, le constat est encore plus net : lorsqu’avant même la crise sanitaire, ils comptent pour quantité négligeable pour les organisations, leur situation est encore amenée à empirer lorsque tout s’arrête (ex. : du jour au lendemain, ils doivent pallier l’arrêt unilatéral des prestations professionnelles). Dans les structures qui accordaient une attention aux AP, il semblerait que le lien (même symbolique, sous la forme de coups de téléphone…) leur ait permis de « tenir »
[1] Si la limitation de l’autonomie des personnes en situation de handicap est un fait avéré, cette même autonomie est en revanche farouchement supposée dans les domaines du « grand âge » et du « domicile ». Cette question de la latitude de choix, de libre-arbitre de la personne vulnérable, est l’une des données de l’équation qui conditionne la place et le rôle supposément attribué aux AP qui gravitent autour de la PH.
Que nous apprend l’enquête sur le vécu des AP durant le confinement ?
Pour 58 % des AP qui y ont répondu, la cause du déficit d’autonomie de leur proche est le handicap. La pandémie a effectivement bel et bien rebattu les cartes, en amenant les AP à décider très vite s’ils reprenaient leur proche handicapée (PH) avec eux ou pas. Pour 62 % d’entre eux, le confinement a signifié passer « plus de temps (…) à prendre soin de la PH ». En ce qui concerne la « charge ressentie », dans le panel des AP interrogés, ceux qui aidaient une PH disent avoir ressenti le plus fortement cette « charge ». Logiquement, l’évolution de l’accompagnement, a été « plus lourd » pendant le confinement, pour 66 % des AP de PH. 62 % de ces AP se sont alors sentis « sous pression », aux côtés d leur proche en situation de handicap. Pour 37 % de ces AP, le sentiment de « ne pas pouvoir surmonter les problèmes » a été (beaucoup) plus marqué que d’habitude.
En particulier, 50 % des AP auprès de PH ont vécu plus de « comportements agressifs » durant cette période. Pourtant, en termes de « bons moments vécus avec leur proche », 74% des AP disent avoir vécu autant de bons moments pendant qu’avant la crise sanitaire, contre 13 % d’AP qui disent avoir vécu « moins de bons moments » qu’auparavant.
Malgré ces difficultés, est-ce que le fait de « prendre soin de son proche » fait du bien aux AP, en général ? Pour 19 % d’entre eux, c’est… mitigé : ils ont ressenti moins de plaisir à apporter une aide. En ciblant les AP de PH, 64 % d’entre eux expriment des sentiments négatifs plus prononcés, comme « avoir le cafard ». En outre, 46 % des AP de PH, ont eu le sentiment que prendre soin de leur proche « prenait une part déraisonnable de leur temps », en confinement.
Nous voyons là toute l’ambivalence du rôle d’AP, entre « don » (de soi, de son temps…) et « charge » (faire face à tous les aléas vécus avec le proche aidé, renforcés par le confinement).
Si le 1° confinement a mis en évidence la (non)part des AP dans les systèmes et les organisations, les participants ont ciblé, en réaction, un levier : celui de la « reconnaissance des AP », opérationnalisée tout récemment au sein des mutuelles (depuis le 1er septembre 2020). Conscients que ce levier repose en grande partie sur la proactivité de ces dernières, les professionnels encouragent à accentuer le travail de sensibilisation à propos de la reconnaissance des AP : ils préconisent que la reconnaissance légale soit un levier pour faire infuser le sujet dans la société.
Au niveau micro : la solidarité comme palliatif à la solitude
La pandémie et le confinement ont généré un sentiment de solitude très présent et partagé par de nombreux AP. Les règles sanitaires, quoique nécessaires, n’ont pas facilité ce vécu. Chez les AP, elle a été la conséquence de l’arrêt des soutiens[1].
L’enquête sur « le vécu des AP » l’illustre : 45% des AP de PH se sont sentis « abandonnés », et 70% de ces AP déclarent « avoir eu moins de contacts sociaux » durant le confinement. 31% des AP de PH n’ont pas eu de gens « sur qui compter en cas de besoin » durant la crise, et 58% des AP de PH ont ressenti un sentiment de « vide autour d’eux ».
Pour un grand nombre d’aidants, la solitude a encore majoré leur détresse. En effet, ils ont eu l’impression d’être encore plus inaudibles que d’habitude, dans le concert des solitudes de tous. Malgré tout, certains d’entre eux ont fait preuve de beaucoup d’imagination et ont créé leurs propres soutiens en s’appuyant sur la solidarité interpersonnelle.
Ces AP ont franchi le pas en sollicitant un ami, un voisin, une connaissance, alors qu’ils ne l’auraient pas osé « avant ». Par ailleurs, le confinement a été pour eux l’occasion de découvrir nombre d’initiatives qui ont spontanément émergé au niveau local. Cette solidarité (locale et informelle), témoignage de la créativité dans la communauté, a représenté une heureuse issue :
Pour autant, tout ne fut pas rose : certains AP ont parlé de double peine, à savoir un isolement décuplé par la mise sur « pause » imposée par la COVID. Même s’ils avaient eu besoin d’aide, lors de cette période critique, ils auraient probablement été confrontés à une fin de non-recevoir. Il a fallu une énergie folle pour se démener, trouver des alternatives.
Pour les professionnels, les 2 premières semaines sont qualifiées de « chaos », tant par la soudaineté des décisions, que par le manque de matériel et la réorganisation des procédures de travail. Rapidement des solutions ont été trouvées tant bien que mal, mais parfois au prix de renoncements difficiles à assumer (ex. : quelle priorité met-on dans les interventions ?). Pour atteindre au plus vite une vitesse de croisière, un phénomène de solidarité entre professionnels et intra-équipe est revendiqué comme une bonne pratique à faire perdurer.
Il n’en reste pas moins que ces professionnels ont aussi expérimenté douloureusement la solitude. Fait marquant, dans le domaine du handicap, cette solitude aurait partie liée avec le télétravail. En effet, nombre d’entre eux n’avaient jamais expérimenté ce dispositif, voire n’étaient pas équipés pour le faire. Mais plus encore, elle est exprimée par les encadrants des équipes des institutions d’hébergement. Moins présents en 1° ligne, sur le terrain, les encadrants se sont alors perçus comme des « professionnels devant leurs écrans et pendus à leur téléphone (…) Comment peut-on faire notre travail dans ces conditions ? »
REFLEXION DE L’ASBL AP : Le télétravail semble être perçu différemment par les encadrants des équipes du secteur du « domicile » : « ce n’est pas si mal… C’est déjà ça ». Mais cette différence d’appréciation ne tient-elle pas aux différences de « cultures » des secteurs ? Dans les institutions qui accueillent et hébergent des publics fragilisés (personnes en situation de handicap ou seniors), on peut supposer une grande proximité quotidienne des équipes (composée des professionnels de terrain, mais aussi de leurs encadrants) avec les résidents. L’on en veut pour preuve que dans les ateliers du « grand âge », le télétravail n’a que peu été évoqué par les professionnels des MR-MRS par ex. Ici, dans le « handicap », il peut être source d’isolement, de perte d’un contact avec le « terrain » (proximité avec les personnes fragiles, mais aussi les professionnels de 1° ligne).
En revanche, les encadrants des professionnels du domicile ne sont que peu en contact étroit et direct, avec les bénéficiaires et avec leurs équipes de terrain. Ceci expliquerait que, bien qu’ébranlés par la nécessaire réorganisation de leur travail, ils ont pu « rebondir » en mettant à profit le télétravail pour réinventer un lien avec les bénéficiaires, les familles.
[1] Sans que l’origine de cet arrêt soit toujours clairement identifiée : s’agissait-il d’un arrêt imposé par des professionnels (institutions, responsables d’équipes…) ? D’un arrêt voulu par des AP qui, soucieux de la contamination possiblement véhiculée par des professionnels, souhaitaient limiter les contacts en prenant leur relais auprès de leurs proches ? Des proches eux-mêmes, pour qui cette même crainte les conduisait à refuser les prestations des professionnels, estimant que leurs AP prendraient le relais ?
Propositions, revendication pour l’avenir, provenant des AP et/ou des professionnels
Au niveau macro : des idées novatrices !
Les politiques présents dans les ateliers « handicap » évoquent la nécessité d’un « observatoire des AP », qui, comme la LUSS au sein de l’INAMI, serait la chambre d’écho des AP face aux décisions politiques, aux orientations de la puissance publique. Les AP renchérissent : les familles, dans les discussions qui traitent des publics fragiles dont ils sont les accompagnants, doivent pouvoir faire entendre leur voix.
Rappelons leur revendication d’être reconnus comme des « experts du vécu » face à des pouvoirs « non-sachant ». Experts à 2 titres : de la situation vécue ET dans l’identification des besoins et la qualité des réponses apportées à leurs proches dépendants.
Au niveau méso : abondance d’informations et manque de formation
En plus d’une large diffusion de la culture de « partenariat » entre familles et équipes, les professionnels font aussi leur « mea culpa ». Ils sont en mesure de tirer les leçons des lacunes vécues douloureusement pendant le 1° confinement (ex. : manque d’informations, décisions dans l’urgence…) et sont déterminés à en dégager de « bonnes pratiques ».
Cette volonté des professionnels actifs dans le domaine du handicap repose sur un constat fort, rapporté dans le vécu du confinement : si la relation entre entourage « formel » (professionnels) et « informel » (familles) préexiste, la relation, le lien, l’aide survit même en période de crise. Le domaine du handicap est ainsi le révélateur de la plus-value qu’est un partenariat relationnel solide avec les aidants-proches. Il représente un « moteur » de ces bonnes pratiques, duplicable dans les autres secteurs de l’aide aux publics fragiles.
L’enquête (« vécu des AP…) l’atteste a contrario, chiffres à l’appui : 39 % des AP de PH déclarent ne « pas avoir été satisfaits » de l’aide professionnelle apportée durant le confinement. Et 77 % des AP de PH estiment que les soins formels, fournis par les professionnels, ont été insuffisants durant la crise ! Et les effets se marquent aussi sur la santé des AP aux côtés de la PH
27 % des AP de PH disent avoir « perdu (beaucoup) de leur confiance en eux », 46 % de ces AP se sont dits « beaucoup plus malheureux et dépressifs » que d’habitude. 47 % des AP auprès de PH disent avoir eu « plus de mal à dormir à cause des soucis » traversés pendant le confinement. Paradoxalement, 63 % des AP de PH déclarent que « leur entourage [élargi] a apprécié » l’engagement qu’ils ont vis-à-vis de leur proche porteur de handicap.
De bons moments, malgré la crise ? 74 % des AP épaulant des PH disent avoir vécus « autant de bons moments pendant, qu’avant la crise », voire « plus de bons moments qu’auparavant » pour 13% d’entre eux. Peut-on poser l’hypothèse qu’on constate là, le sentiment d’être, plus que jamais, utiles et nécessaires auprès d’un proche vulnérable ?
Comment penser la réponse dans un contexte marqué par l’incertitude ? Deux idées complémentaires ont été évoquées : une indispensable centralisation de l’information, organisée et gérée au long cours par la puissance publique. Son but 1° serait de lutter contre l’épuisement physique et psychique des AP. Mais ce n’est pas tout. Il est nécessaire de coupler cette sorte de « guichet unique » méta avec des ressources solides. Celles-ci seraient fournies par le réseau de professionnels gravitant autour des dyades aidants-aidés. Elles ne peuvent s’activer que s’il y a un réel effort continu de formation/sensibilisation de tous les corps de métiers gravitant autour de publics fragiles.
Centralisation de l’information et formation seraient les deux faces d’une même médaille, celle d’un « label AP[1] », applicable à tout service dont les professionnels auraient suivi une formation de soutien aux « AP ». Ce « label » recouvrerait 2 réalités : d’une part, la manifestation du soutien inconditionnel des pouvoirs publics à l’aidance, et d’autre part, un encouragement aux professionnels à inclure les AP dans l’équation de l’aide concrète, sur le terrain.
REFLEXION DE L’ASBL AP : Si les participants ciblent la nécessité de formations et d’outils, attention cependant à un point : la diversité des besoins, des profils des aidants-proches ainsi que celle des professions de soins et d’aide ne favorise pas la standardisation des formations. Cependant, une piste toute simple évoquée consisterait à intégrer des témoignages d’aidants dans le cursus des professionnels.
Une participante, professionnelle de soin et enseignante, précise le propos :
Ce à quoi un médecin exprime que :
C’est pourquoi inclure les AP dans le cursus d’enseignement ne suffit pas : le manque de considération, d’écoute spécifique de l’AP, couplé au manque de temps et des ressources pour l’aiguiller, sont soulignés en ateliers. Et ces constats, s’ils ne sont pas nés de la COVID, ont été renforcés par le lock down imposé à tous.
De manière globale, la surcharge d’informations, le dédale que vivent les AP, couplés aux lacunes de formation chez les professionnels sont identifiés comme facteurs d’un épuisement physique et psychique des AP. Trouver la bonne information, au bon moment, au bon endroit, en réponse à une situation complexe et évolutive nécessite une énergie colossale… A laquelle s’ajoute, de l’aveu des AP présents, le manque de (re)connaissance de la part de certains professionnels.
[1] Sur le modèle d’initiatives telles que les « Villes Amies des Aînés » (VADA), « hôpital ami des bébés » …
Au niveau micro : anticipation et inventivité, des bonnes pratiques à diffuser
Créativité, inventivité, imagination ont été les maîtres-mots d’une résistance partagée par les professionnels et les AP, dans le secteur du handicap. Mais ces ressources sont à nuancer : elles ont été possibles chez des personnes pouvant s’appuyer sur des ressources autour d’elles (entourage élargi, équipe…). En revanche, les personnes, soit déjà épuisées, soit sans bouée de sauvetage avant la pandémie, ont sombré corps et biens. En d’autres termes, la solidarité (comme moteur et comme soutien) s’est traduite par des solutions ingénieuses (franchir le pas, changer ses habitudes, faire appel à un entourage que l’on n’aurait pas sollicité en temps normal…). Mais ce constat n’est applicable qu’aux personnes qui avaient encore et/ou déjà des supports à mobiliser (personnels, relationnels…).
Pour l’avenir, l’espoir de tous est que les changements positifs qui ont émergé, les bonnes pratiques qui ont résisté à la crise soient partagés, amplifiés, financés comme des soutiens supplémentaires existants « hors-COVID ».
Pour les professionnels en particulier, l’anticipation doit devenir une idée-phare. Il n’est pas seulement question pour eux, de sortir de la crise, mais d’évaluer la manière dont elle a été gérée (y compris par eux), pour mieux faire face à l’avenir. Et cette évaluation devra inclure, chez les professionnels, les pratiques positives (ex. : les nouveaux outils de communication) et les leçons à tirer (ex. : le lien fragilisé aux bénéficiaires, aux familles, qui n’a pas résisté face à l’intensité de la crise).
REFLEXIONS DE L’ASBL AP : Face à une crise de cette ampleur, pas un pan de la société n’a été épargné. Les ateliers du handicap le rappellent et contiennent, en germe, l’idée d’un changement de paradigme. Prendre le temps de (s’) évaluer est impératif car nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle crise. Ainsi, tous les participants mettent en avant la proactivité comme une valeur à défendre. Celle-ci ne doit pas s’apparenter à un Vademecum de services, en se restreignant à ce qu’on connait de sa propre sphère (professionnelle ou privée), même si cela peut être, dans des circonstances exceptionnelles, une ressource en soi. Par ce « changement de paradigme », l’ASBL AP questionne aussi le contexte de néolibéralisme qui a envahi le secteur non-marchand. Il provoque une réelle « souffrance » des professionnels, submergés par les demandes qui leur parviennent et auxquelles ils peinent à répondre par manque de temps et/ou de moyens. Enfin, qui dit « changement de paradigme » implique aussi de revoir, dans le relation au proche aidé, le rôle et la place de son/ses AP : l’ adéquation entre offre, besoin/ demande n’est pas suffisante, il est essentiel de ne pas occulter la situation spécifique de l’AP.
Initiatives durant la 1° vague de confinement lié à la COVID-19
La digitalisation des échanges est un point central qui revient chez les AP et les professionnels, mais avec des avis mitigés.
- Côté positif, les plateformes à distance d’échanges entre pairs, de ressources à consulter ont été des solutions face l’arrêt des contacts physiques (référentiel de l’ASBL AP, « Répit Solidaire », groupes de paroles à distance). Elle a pu être un support aux consultations psychologiques, (para)médicales :
- Mais il ne faut pas oublier le poids de la fracture numérique qui pèse sur nombre de personnes. Sans ces contacts virtuels, privés de contacts physiques, la sortie du confinement a été sans appel : il n’y a pas eu la possibilité d’une reprise de contact parce que ces personnes avaient « disparu des radars ».
Allant plus loin, des professionnels, au départ de leur analyse du « décrochage numérique », en viennent à réfléchir à ce qui fonde la solidité du lien entre services et familles, cette sorte d’« alliance ». Nous avons vu que le lien reposait sur le partenariat établi avec l’AP. Mais il renvoie aussi à la politique des services : si la considération pour les AP est une valeur institutionnelle, régulièrement ravivée, le lien perdure. Si ce lien ne fait pas partie de la culture institutionnelle, et que s’y ajoutent des crispations avec les familles, une professionnelle explique : « le lien, rompu durant la COVID, n’est pas restauré à ce jour ».